Quel travail fantastique: sélectionner des carottes qui ont du goût !

Portrait de la sélectionneuse Noémi Uehlinger

Noémi Uehlinger (née en 1984) étudie d’abord les sciences de l’environnement à l’École Polytechnique  de Zurich. C’est lors d’une dégustation de jus de carottes qu’elle découvre sa passion – pour les carottes, pour la sélection et pour Sativa.

« J’ai pensé que c’était un travail fantastique de pouvoir travailler à développer des carottes ayant bon goût », raconte Uehlinger à propos de cette première rencontre avec des variétés issues de la sélection biologique. « Cela m’a alors amené à mon premier stage chez Sativa Rheinau AG. »

Porträt Noémi Uehlinger 2021
Photo portrait Noémi Uehlinger

Le chemin vers la sélection

Après y avoir travaillé toute une saison, elle part étudier l’agriculture biologique et la sélection variétale à l’Université de Wageningen aux Pays-Bas, afin d’y faire un double master. À la fin de ses études elle fait un autre long stage à Sativa et finit par y recevoir un contrat fixe, qui continue encore aujourd’hui. Dix ans se sont écoulés depuis… « À l’époque, Sativa n’avait pas encore une équipe de jardinage et une autre en sélection avec des tâches distinctes comme c’est le cas aujourd’hui.

Friedemann Ebner [également sélectionneur de plantes] et moi devions régulièrement effectuer les travaux dans les champs. Cela m’a apporté beaucoup, car je n’avais aucune formation en maraîchage », déclare Uehlinger. Depuis le départ d’Ebner fin 2020, elle coordonne la section de sélection à Sativa.

Friedemann Ebner bei der Möhrenselektion2016
F. Ebner sélectionnant les carotte

Coopération transfrontalière

En collaboration avec Ebner, Uehlinger s’est occupée de la sélection d’une grande diversité de cultures. Puis, après plusieurs années, elle devint responsable à part entière de plusieurs projets de sélection: les carottes précoces, le brocoli, le fenouil et la courgette. Le programme de sélection de fenouil et de courgette visait à développer des variétés spécialement adaptées à la production sur le territoire italien. L’idée fut lancée par le grossiste italien Ecor, qui désirait ajouté à son offre de légumes venant de variétés reproductibles, d’autres variétés issues de la sélection biologique.

Depuis toujours, la coopération transfrontalière joue un rôle important chez Sativa. L’entreprise est toujours à la recherche de sélectionneurs à l’étranger spécialisés dans une certaine espèce et qui sont prêts à développer des variétés biologiques en collaboration avec Sativa. « Étant donné que de nombreux légumes sont cultivés pendant les mois d’hiver au sud des Alpes, nous ne pouvons pas développer toutes les variétés uniquement en Suisse », déclare Uehlinger.

Courgette Inizia, cultivée en Espagne

La sélection avec et pour d’autres sites

Lorsqu’il s’agit de développer des variétés pour d’autres régions, Uehlinger et ses collègues collectent tout d’abord leurs expériences avec cette même culture à Rheinau et dans les environs, puis commence à sélectionner et à effectuer des croisements. Puis lorsqu’un nombre de lignées prometteuses prennent forme, celles-ci seront ensuite cultivées en parallèle à l’étranger afin de déterminer leur comportement dans des conditions climatiques différentes. tomatoes in Rheinau. Uehlinger coordonne plusieurs de ces projets.

Actuellement elle travaille à Rheinau avec le fenouil et les tomates. Parallèlement, une sélectionneuse travaille en Italie pour le compte de Sativa sur ces mêmes cultures. « Cela crée un échange étroit qui est très fructueux. Les deux parties obtiennent une vision plus élargie de chaque culture et nous en apprenons beaucoup sur les exigences régionales ou locales d’une culture », dit-elle. Bien sûr, il existe également un échange étroit dans la zone germanophone avec les sélectionneurs de Kultursaat e.V. ou saat:gut e.V.

Uehlinger avec Elena Avite, sélectionneuse de fenouil

A la recherche de nouvelles méthodes

Les carottes qui furent le déclic pour sa carrière professionnelle est devenu le centre du travail d’Uehlinger. Bien qu’entre temps le choix en variétés de carottes issues de la sélection biologique se soit diversifié (pas moins de 16 d’entre elles sont déjà certifiées bioverita), le travail de sélection continue. « Comme nous avons atteint nos limites avec la sélection de masse à différents endroits, nous réfléchissons à d’autres méthodes que nous expérimentons en ce moment. Cela est devenu une grande partie de mon travail », décrit Uehlinger.

Elle complète ses nombreuses années d’expérience dans le domaine de la sélection avec une formation supplémentaire à la Plant Breeding Academy. Celle-ci est organisée par l’Université de Davis en Californie pour les sélectionneurs actifs en Europe. Cela lui a permis de faire de nombreux contacts et connaître de nouvelles méthodes, qu’elle met petit à petit en pratique avec son équipe.

Möhren Nantaise 2Milan, Vitella, Fynn, Dolciva
Variétés de carottes: Nantaise 2/Milan, Vitella, Fynn, Dolciva

Les variétés à l’épreuve

Mais pourquoi avons-nous donc besoin de nouvelles variétés de carottes ? « Les carottes ont différentes formes de commercialisation : en frais, individuellement ou en botte, comme carottes de conservation pour les mois d’hiver ou comme  carottes industrielles pour la transformation, par exemple, en bouillies ou en soupes.

De plus, il est important de prendre en compte les différentes périodes de culture et les différences climatiques », explique la sélectionneuse. Celle-ci fut directement impliquée dans le développement de la variété Amiva, d’autres suivent mais n’ont pour l’instant que des numéros, car ils n’ont pas encore été homologués.

Karottensorte Amiva
Carotte Amiva

Le défi du chou

La situation est différente avec le brocoli. Jusqu’à présent, aucune variété répondant aux critères de la production commerciale tout en étant aussi fiable que des variétés hybrides n’a été développée. Le plus grand défi pour les sélectionneurs est de développer une variété présentant une croissance homogène et une maturation simultanée des têtes. Avec les carottes ou le chou-rave, on mange la partie végétative de la plante alors qu’avec le brocoli ou le chou-fleur c’est la tête qui s’apprête à fleurir. « C’est une différence cruciale, car à ce stade un nombre incroyable de processus se déroulent dans la plante. Il y a beaucoup plus d’influences qui jouent un rôle que dans la partie végétative des légumes-racines », explique Uehlinger.

Pour le maraîchage professionnel produisant pour la vente en gros, il est essentiel que le brocoli ou le chou-fleur soit mûr en même temps. La période de récolte est généralement courte, tout doit être récolté après deux, ou au plus trois passages et cela dans les dix jours. Tout ce qui dépasse ces exigences est onéreux et n’est donc pas rentable. Heureusement, il existe de plus en plus de formes alternatives de commercialisation où la rentabilité n’a pas la priorité absolue. Les projets d’agriculture contractuelle de proximité ou les AMAP en France, tout comme les exploitations suivant les príncipes du Market Gardening apprécient les variétés reproductibles issues de la sélection biologique.

Blumenkohlköpfe in unterschiedlichen Stadien
Chou-fleur à différents stades de croissance: De la tête fermée aux fleurs jusqu’à la formation de graines

Les prochaines étapes

Qu’est-ce que représente pour elle le travail de sélection?
« Pour moi, la sélection biologique a deux aspects : l’un théorique qui demande de la planification, de la réflexion, du questionnement. Et l’autre, le côté plus pratique, pendant la période de production, lorsque beaucoup de choses se passent en même temps dans les champs ou sous serres. Chacun de ces aspects est important et dépend de l’autre », résume Uehlinger. En même temps, la sélectionneuse décrit la tension existente entre rendement et qualité ainsi qu’envers les exigences actuelles et futures :

« Les exigences du marché d’aujourd’hui donnent des objectifs de rendements précis. En même temps, je voudrais pouvoir réfléchir aux futurs systèmes de production et de commercialisation et avoir une contribution active à la construction de ceux-ci à travers mon travail », décrit la sélectionneuse. Le fait qu’il n’y ait pas encore assez de variétés répondant aux besoins spécifiques de l’agriculture biologique la pousse à continuer. Ce travail prend une dimension politique lorqu’il s’agit de créer des alternatives face à la forte concentration sur le marché des semences et de la sélection.

Uehlinger-bei-der-Brokkoli-Selektion
Uehlinger pendant la sélection de brocolis

Fascination pour les carottes

Malgré tous ces défis, Uehlinger a conservé sa fascination pour les carottes : « Chaque année je suis fascinée de voir quelle force se cache dans les carottes. Les plantes sélectionnées pour la reproduction de semences sont stockées tout l’hiver.

Nous les coupons et en plantons un petit morceau. De celui-ci émerge un arbre qui fleurit tout l’été et finit par produire des graines. C’est à chaque fois une sacrée expérience! »

Möhren nach der Überwinterung
Carottes après l’hiver

Crédit photos: photo 1 et 7 bioverita, photo 3 Naturkost Schramm, photo 5 (Collage de carottes) et 6 Bingenheimer Saatgut AG und Sativa Rheinau AG, photos 2, 4, 8 et 9 Sativa Rheinau AG